GALILEE : Un point de vue philosophique.

Portrait de Galilée, exécuté par le peintre flamand Justus Sustermans

 

Astronome italien né à Pise en 1564 et mort à Florence en 1642.

En 1581, Galilée entre à l’université de Pise pour étudier la médecine. Puis il se tourne vers la philosophie et les mathématiques, quittant l’université sans diplôme en 1585. Quatre ans plus tard, il devient  professeur de mathématiques, toujours à Pise, et en 1592, il obtient la chaire de mathématiques à l’université de Padoue, où il reste jusqu’en 1610.

En 1609, Galilée est depuis vingt ans un partisan de Copernic, mais lorsqu’il enseigne à ses étudiants, il leur parle de la vieille astronomie de Ptolémée, avec la Terre immobile au centre de l’univers, ce qui est conforme au programme de l’université. Galilée, sait qu’il y a beaucoup de risques de soutenir publiquement les idées de Copernic, car en plus de contredire Ptolémée, elles contredisent la Bible qui dit que la Terre est au centre de l’univers et que le Soleil tourne autour d’elle… Bien que l’Eglise n’ait pas interdit officiellement la théorie de Copernic, Giordano Bruno (Dominicain et philosophe) l’avait soutenue et avait été brûlé vif  à Rome par l’Inquisition en 1600.

Mais Galilée veut s’appuyer sur quelque chose de solide, qui est l’expérience, et non pas sur des « considérations, raisonnements et réfutations » qui ne reposent sur rien. Pourtant, il n’a aucune preuve que Copernic ait raison, bien qu’il en soit convaincu. C’est alors que des observations faites à la lunette vont lui permettre d’obtenir des preuves sur cette théorie copernicienne.

 

 

1°) La lunette

 

Contrairement aux nombreuses idées reçues, Galilée n’est pas l’inventeur de la lunette astronomique. Les lentilles étaient connues depuis des siècles (elles étaient correctives pour la lecture, 1352), et c’est par hasard qu’il apprit l’existence de ces instruments, dont les avantages de leur utilisation avaient déjà été évoqués.

Au cours de l’été 1609, un Hollandais avait présenté à Venise « une lunette grâce à laquelle des objets très éloignés de l’œil de l’observateur étaient vus très distinctement comme s’ils étaient proches ». En 1608 déjà, un dénommé Hans Lipperhey, fabricant de lentilles et de lunettes à Middleburg, avait vainement tenté de faire breveter la lunette et Paolo Sarpi, grand ami de Galilée, en eut connaissance en Novembre de la même année … Galilée raconte que, dès qu’il a découvert l’existence de ce nouvel instrument, il lui fallut peu de temps pour comprendre le fonctionnement et pour en fabriquer un, même s’il n’en avait jamais vu. Il lui fallut des lentilles spéciales, pour avoir un bon grossissement et une vision nette, et qui soient de faible convexité pour l’une et de forte concavité pour l’autre. Les lentilles fabriquées à l’époque étant le contraire, c’est à dire de forte convexité et de faible concavité, Galilée les construit lui-même.


Représentation de la perception d’une image avec une lunette astronomique

Les traits rouges représentent les rayons lumineux provenant d’un objet, d’une image. Les 2 flèches à « double pointe », sont l’objectif (à gauche) et l’oculaire (à droite). Les rayons lumineux arrivent dans l’objectif et convergent dans plan focal image de l'objectif, qui est confondu avec le plan focal objet de l'oculaire. Puis ils divergent vers l’oculaire, duquel ressortent des rayons parallèles, ce qui permet une vision nette et sans accomodation de l'image finale (inversée par rapport à l'objet, mais ceci n'a pas d'importance dans le cadre d'observations d'astres).

 

 

I l réussit à obtenir un grossissement de six (on voit les objets six fois plus gros) et, étant encouragé par ces résultats, il se remet au travail, et réalise, début Août, une lunette qui grossit neuf fois, sans déformer. Le gouverneur de la République, a entendu parler des essais de Galilée, et lui demande une démonstration, chose qu’il accepte le 21 août, en haut du campanile de Venise, devant un groupe de sénateurs. Après observation de l’Eglise de Padoue et de Murano, c’est un véritable succès, et Galilée offre l’instrument à la République de Venise. Le Sénat est alors impressionné par les applications militaires qu’il pourra en tirer.

Galilée tente de convaincre le Doge (chef de la l’ancienne République de Venise) de la valeur militaire des télescopes.

 

 

Galilée, qui rentre à Padoue, veut terminer sa seconde lunette qui doit grossir vingt fois, sa préoccupation n’étant pas d’observer vers la Terre, mais vers le ciel. Et en quelques nuits, il est le premier à pouvoir observer d’aussi près un univers nouveau que personne n’a vu avant lui. Il veut alors annoncer au monde entier ce qu’il a vu dans le ciel.

 

 

2°)Les premières observations

Frontispice (1ere page) du Messager Céleste

 

En mars 1610, il publie un livre regroupant ses observations : Sidereus Nuncius, le Messager des étoiles qui marqua une révolution dans les découvertes astronomiques.

Une première série de découvertes concerne la Lune, ou plutôt sa surface, qui pour lui n'est absolument pas « polie, régulière et d'une sphéricité parfaite comme la grande cohorte des philosophes l'a estimé […], mais au contraire irrégulière, rugueuse, pourvue de cavités et de gonflements, tout comme la surface de la Terre elle-même qui est rendue partout différente par les hauteurs des montagnes et les profondeurs des vallées ». Cette description s'accompagne de dessins qui vont à l'encontre d'une solide conviction, selon laquelle la Lune, en sa qualité de corps céleste, est un corps parfait. Il remarque que de nombreux phénomènes qui sont observables sur la Lune, et explique que celui de la « lumière cendrée » n'est rien d'autre que le clair de la Terre reflété par la Lune.

La lunette lui permet aussi de mettre en évidence une différence nette entre les planètes et les étoiles. Il constate que les premières « montrent leur leurs globes arrondis et tracés au compas avec précision, et apparaissent circulaires comme de petites lunes perfusées de lumière ». Les secondes, par contre, « apparaissent dotées de la même forme qu'on les regarde à la lunette ou à l'œil nu ». Galilée découvre que le ciel est peuplé d'un nombre incroyable d'étoiles, qui sont invisibles à l'œil nu. Il fait les dessins de deux constellations connues : celle d'Orion, dont la lunette, dans une ouverture d'un ou deux degrés, fait apparaître plus de 500 nouvelles étoiles ( elle ne peut donc plus être représentée sur une seule figure ) ; et également la constellation des Pléiades, où, à côté des six étoiles visibles sans télescope, beaucoup d'autres émettent de la lumière.

 

Il observe également la Voie Lactée et les nébuleuses qui étaient décrites comme des nébulosités blanchâtres, ou « une luminosité laiteuse, semblable à celle d'une nuée blanchissante ». Durant de nombreux siècles, les philosophes avaient débattu vainement pour comprendre ces phénomènes, qui ne sont en fait que des amas d'étoiles.

 

Toujours dans le texte du Messager des étoiles, Galilée expose les observations qu'il a faites autour de la planète de Jupiter : il reconnut que trois petites étoiles très brillantes étaient près d'elle, et fut étonné de voir celles-ci étaient placées sur une ligne droite et parallèle à l'écliptique et qu'elles avaient plus d'éclats que toutes les autres de même taille. En plaçant Jupiter au centre, deus étoiles se trouvaient à l'Est et une était à l'Ouest, la plus orientale et la plus occidentale paraissaient un peu plus grandes que la troisième. Il croyait d'abord que ces étoiles étaient fixes, mais les trouva le lendemain (8 janvier 1610), dans une position différente : elles étaient toutes à l'Ouest de Jupiter, plus proches entre elles et séparées par des intervalles égaux. Galilée est très perplexe et se demande comment la planète a pu se retrouver à l'Est de ces étoiles ( car il considère celles-ci comme fixes), ses calculs montrant l'impossibilité d'une telle configuration en l'espace d'une nuit. Après plusieurs observations, les nuits suivantes, il finit par conclure que « ces trois étoiles errent autour de Jupiter à la façon de Vénus et Mercure autour du Soleil ». Puis il verra que ces corps mobiles sont au nombre de quatre : ce sont les satellites de Jupiter.

Il conclut : « Car à présent nous n'avons pas seulement une planète qui tourne autour d'une autre, tandis que l'une et l'autre parcourent une grande orbite autour du soleil, mais nos sens nous montrent quatre étoiles se promenant autour de Jupiter à la façon de la Lune autour de la Terre, cependant que toutes ensembles avec Jupiter, elles parcourent un grand orbe autour du Soleil, en l'espace de douze ans ». Mais le système copernicien connaît de nombreuses critiques et la physique de l'époque ne peut pas prouver cette théorie : comment expliquer que la Terre, se déplaçant dans l'espace en tournant autour du Soleil, peut aussi entraîner la Lune ?

Il fait également une découverte primordiale avec Vénus : celle-ci possède des phases comme celles de la Lune et des variations de sa taille. La planète tourne donc autour du Soleil et se déplace par rapport à la Terre.

 

 

3°)Le rapport entre les sciences et la philosophie

 

Ces découvertes remettent en cause non seulement les idées de la religion catholique fondée sur le géocentrisme, mais aussi toutes les connaissances astronomiques et la philosophie naturelle. Des craintes apparaissent car les hommes sont conscients du bouleversement de la conception du monde, qui était celle d'Aristote qu'on trouvait dans les livres et qu'on enseignait dans les universités. En effet, les sciences et la philosophie sont liés : la première consiste à établir et préserver les fondements humains, et la seconde préserve justement ces acquis dans le but de pouvoir se développer. Le scientifique est considéré par les philosophes comme un technicien qui dont les pratiques ont un but utile, tandis que l'humaniste fait une véritable analyse et peut évaluer ce qui est vrai et ce qui est faux.

 

Frontispice du Dialogue de Galilée

 

 

Dans son Dialogue de 1632, Galilée rejette cette idée que les sciences et la philosophie ont chacun un rôle différent, mais il ne remet pas en cause la nécessité de la réflexion philosophique, qui est d'ailleurs présente dans son œuvre. Un des personnages, Simplicio, est pour la conception traditionnelle aristotélicienne ; il se voit répondre : « Ne vous faites pas de souci pour le Ciel et la Terre, ne craignez pas leur subversion, pas plus que celle de la philosophie […]. La philosophie elle-même ne peut que tirer avantage de nos disputes : si nos pensées sont vraies, nous y aurons gagné quelque chose ; si elles sont fausses, les doctrines antérieures n'en seront que mieux confirmées par leur rejet. Ayez plutôt souci de certains philosophes et cherchez à les aider et à les soutenir : la science, elle, ne peut qu'avancer ». Le point de vue développé est très optimiste : dans les deux cas (que les découvertes astronomiques soient vraies ou fausses), la philosophie peut tirer profit de ces débats sur la science, qui ne peut quant à elle qu'avancer.

 

Ces deux notions sont dans l'ouvrage un échange culturel, mais des philosophes sont contre le fait de pouvoir tirer parti des « disputes » scientifiques : ce sont les philosophes in libris que le Dialogue critique. Galilée pense donc que le progrès scientifique permet de renouveler la réflexion philosophique, mais il est très déçu par les humanistes qui rejettent ces « informations télescopiques » et ne veulent pas voir la vérité. Ils veulent, d' après lui, chercher la vérité, non pas dans l'univers ou la nature, mais dans la confrontation des textes.

Galilée a toujours affirmé, au contraire, que la science n'était qu'une voie privilégiée menant à la vérité. Il fallait accepter que même les phénomènes les plus simples ne sont jamais totalement expliqués, car la science progresse de découverte en découverte, mais ne repose pas sur une connaissance définitive, car la nature est plus riche et imprévisible que ce que les hommes veulent imposer avec les lois philosophiques.

Ce que Galilée veut nous faire comprendre, c'est qu'il ne faut pas essayer d'appliquer à la nature nos idées et nos concepts, mais il faut justement modifier ces idées en fonction des changements de la nature.

 

La lunette de Galilée, qui permit de découvrir les satellites de Jupiter

 

 

Un autre problème philosophique se pose : celui du lien entre l'observation et nos sens, et donc du lien entre la réalité et l'apparence, de la réalité de ce que voit un astronome. Par exemple : lorsque nous observons une comète à l'œil nu, nous voyons un rayonnement intense autour d'elle, mais lorsque nous l'observons avec un télescope, ce rayonnement ne semble pas grossi. Dans L'essayeur, publié en 1623, où Galilée parle des comètes, il nous explique ce phénomène : un télescope ne peut grossir que les signaux qui traversent les lentilles et qui proviennent de l'extérieur, par contre il n'a aucun effet sur les signaux qui se produisent à l'intérieur des yeux (et qui résultent de la structure de l'œil lui-même ). Galilée met en avant le fonctionnement des sens et le rapport entre ce fonctionnement et le langage : grâce au langage, nous pouvons exprimer, décrire ce que nous captons avec nos sens ; en décrivant, nous attribuons aux choses des propriétés. Il y a donc un lien entre les sens et la description des choses même si les informations que nous recevons ne viennent pas uniquement de la façon dont les choses sont faites, mais surtout de la façon dont nos organes récepteurs sont faits.

Pour notre astronome, nous devons nous méfier de ce rapport entre le langage, les sens et les choses, car nos sens justement peuvent nous « jouer des tours » : nous pouvons penser qu'un objet possède telle ou telle propriété, mais celle-ci est peut être due au fonctionnement d'un de nos sens seulement. Comment est-il alors possible de distinguer la réalité de l'apparence ? A ce moment là, la vision des observateurs nous transmet peut être de fausses informations si leurs observations ne sont basées que sur l'apparence.

Les objets sont donc considérés réels, d' après L'Essayeur, grâce aux propriétés suivantes : configurations géométriques, dispositions dans l'espace, état de mouvement et nombres des parties constituant les corps. En effet, ces qualités sont si concrètes qu'elles ne peuvent pas dépendre de notre imagination.

 

L'observation nous permet donc de construire une relation fonctionnelle lorsqu'on est face à des constructions ou des expérimentations (=connaissances construites).On reconstruit par la sensibilité et la raison, qui sont relatives à l'homme. La connaissance doit donc être indépendante de notre sensibilité et des sens de l'observateur pour être uniquement basée sur les vraies caractéristiques du monde qui nous entoure. Cette conception s'inspire surtout des croyances religieuses qui disent que Dieu a créé le monde « en mesure, en nombre et en poids », mais Galilée était bien sûr d'avis que la science servait à faire des découvertes objectives.

Ce sont d'ailleurs les idéologies religieuses de l'époque qui ont conduit l'astronome à la condamnation.

 

 

4°) Les idéologies religieuses.

 

            En 1624, Galilée commence un livre qu'il veut appeler Dialogue sur les marées, et où il relie les hypothèses de Ptolémée et de Copernic avec la physique des marées. A Rome, en 1630, les censeurs de l'église catholique romaine autorisent l'impression du livre et en modifient le titre : Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, qui est publié en 1632 à Florence. Pourtant, avec ces autorisations officielles, Galilée est convoqué par le Pape Urbain VIII et l ‘Inquisition de Rome, car on l'accuse de « sérieuse suspicion d'hérésie ». Cette charge reposait également sur un rapport de 1616, qui lui interdisait de discuter du système de Copernic, aussi bien par écrit qu'oralement.

Mais à cette époque, Urbain VIII est soupçonné de favoriser les idées nouvelles au détriment des valeurs traditionnelles, et d'avoir une politique « pro-française », au moment où la France soutient les protestants ; d'où le mécontentement de nombreux catholiques. Le procès de Galilée va en quelque sorte calmer ses adversaires. Malgré un certificat signé par le cardinal Bellarmin (à ce moment-là décédé), selon lequel plus aucune restriction ne lui était imposée, il fut obligé de nier ces découvertes, fut condamné à la prison à vie en 1633, et son Dialogue brûlé. Par la suite, il fut assigné à résidence surveillée.

 

            Les mesures physiques de Galilée, et ses découvertes astronomiques expliquées dans Le Messager Céleste et le Dialogue ont eu une large influence pour libérer la science des restrictions philosophiques.

            Son dernier ouvrage, intitulé Discours sur deux nouvelles sciences, fut publié à Leyde en 1638, et parlait des principes de la mécanique, qui allait conduire Newton à la loi de la gravitation établissant un lien entre les lois planétaires de Kepler et la physique de Galilée. Avant sa publication, il mourut à Arcetri, près de Florence, le 8 janvier 1642.